Le “passage au numérique”: explication et enjeux

ShareTweet about this on TwitterShare on FacebookGoogle+Email to someone

Des milliards de personnes regardent la télévision partout dans le monde, mais bientôt, les téléspectateurs d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Europe et d’Asie centrale (c’est-à-dire ce que l’on appelle la Région 1 à l’UIT) pourront accéder à toute une gamme de nouveaux services et de nouveaux programmes grâce au “passage numérique”. Bassil Zoubi, ingénieur qui travaille depuis plusieurs décennies dans le secteur de la radiodiffusion, nous explique pourquoi ce passage à la télévision numérique est important selon lui et nous présente les très nombreuses incidences qu’il pourrait avoir.

Pour nous consommateurs, regarder la télévision est une activité simple qui n’a pas beaucoup évolué depuis les années 50: nous appuyons sur un bouton et l’actualité du monde entier, des films captivants et des images de pays lointains apparaissent directement devant nos yeux. Pourtant en coulisses, la télévision est une affaire complexe. Pour avoir été à la tête des services techniques de maintenance de la Société de radio et de télévision de Jordanie jusqu’en 1994, je me souviens avec nostalgie des bobines de films empilées dans des salles, des lecteurs vidéo et de leur ronronnement, des énormes émetteurs aux branchements complexes et des volumineuses consoles audio, autant d’équipements nécessaires pour diffuser les programmes dont la grille était planifiée des semaines à l’avance. Pourtant, la télévision évolue alors que nous entrons dans l’ère du numérique et la plupart des équipements que j’utilisais appartiennent aujourd’hui au passé.

Cette évolution vers la radiodiffusion numérique signifie que les consommateurs peuvent accéder à un plus grand choix de programmes sur de nombreuses chaînes avec une meilleure qualité de diffusion. Elle est en outre synonyme de réduction de la consommation d’électricité et d’énergie et d’utilisation plus efficace du spectre, qui vont de pair avec de nombreux avantages pour les consommateurs et les radiodiffuseurs. Toutefois, ce passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique s’accompagne également de défis qu’il faudra relever.

En tant que Chef du Département des transmissions de Terre à l’Union de radiodiffusion des Etats arabes (ASBU), je contribue à fournir un appui aux très nombreuses parties prenantes impliquées, des exploitants de stations aux utilisateurs finals en passant par les ingénieurs, afin de garantir un passage sans accroc à la radiodiffusion numérique dans la région.

Dividende numérique et passage au numérique

On appelle “passage au numérique” le processus consistant à abandonner la radiodiffusion télévisuelle analogique au profit de la radiodiffusion télévisuelle numérique.

Certes, un grand nombre de personnes sont aujourd’hui habituées à la radiodiffusion analogique (et doivent donc se contenter d’un choix limité de programmes faute d’espace pour les chaînes, régler leur téléviseur en fonction de la région où elles vivent pour pouvoir capter les programmes et régler leur antenne pour recevoir les signaux correctement et sans interruption), mais à mesure que nous allons vers le “tout numérique”, ce mode de radiodiffusion n’a plus lieu d’être.

Grâce aux progrès de la technologie numérique, nous sommes aujourd’hui capables d’émettre des signaux de manière plus efficace qu’avec la technologie analogique. Tout d’abord, la radiodiffusion télévisuelle analogique occupe une grande largeur de spectre, lequel est une ressource naturelle limitée et “voie” électromagnétique sur laquelle les programmes circulent. Alors qu’un canal d’émission d’une largeur de 6 à 8 MHz permet de diffuser un seul programme analogique, ce même canal pourrait

acheminer un multiplex susceptible pouvant contenir jusqu’à 20 programmes numériques de qualité équivalente. Il va sans dire que le spectre étant une ressource limitée, il s’agit là d’une économie précieuse. Les fréquences qui sont progressivement libérées grâce au passage au numérique constituent ce que l’on appelle le “dividende numérique“.

Le rôle de l’ASBU: assurer le passage au numérique

La diffusion des programmes fait intervenir un grand nombre d’acteurs tout au long de la chaîne: producteurs de contenus, responsables des programmes, exploitants des liaisons point à point (par exemple entre le studio et la station d’émission), fabricants et utilisateurs finals. Par conséquent, d’importants investissements, que ce soit en termes d’argent ou de temps, sont nécessaires pour faciliter le passage au numérique.

Même si je suis persuadé que l’infrastructure existante devrait être utilisée autant que faire se peut, près de 87 millions de foyers dans la région des Etats arabes devront changer leurs équipements et il faudra rénover ou remplacer plusieurs milliers de stations. Par conséquent, le passage à la radiodiffusion numérique exigera un long processus d’harmonisation, mais pour qu’il se déroule sans accroc, il faudra y associer toutes les parties prenantes, ainsi que les médias, les organismes de régulation des télécommunications et de l’utilisation des fréquences et les législateurs nationaux.

L’Union de radiodiffusion des Etats Arabes (ASBU) joue un rôle essentiel pour rassembler ces acteurs et faciliter le passage au numérique dans la région, puisque nous aidons à organiser et à coordonner les échanges d’information et nous fournissons une assistance à nos membres pour qu’ils puissent mener leurs activités de manière efficace et harmonieuse. Dans le cadre de cette assistance, nous avons publié de nombreuses études et recommandations afin d’aider nos membres à comprendre les avantages du numérique. Nous avons mené des études technologiques et réfléchi à la façon de mener la transition dans notre région, au meilleur moment pour la mettre en oeuvre et à la manière de surmonter les difficultés liées au passage au numérique dans la région.

Autre aspect essentiel de notre rôle dans le passage au numérique dans la région des Etats arabes, nous aidons les consommateurs à comprendre les incidences que ce changement aura pour eux et les avantages qu’ils peuvent en attendre une fois la transition menée à bien. Nous avons pour ce faire créé un service d’assistance téléphonique.

La plupart des pays de la région ne seront pas prêts à basculer au tout numérique à la date convenue, à savoir le 17 juin 2015. Toutefois, la Tunisie, Bahreïn, l’Algérie, le Maroc, le Koweït et l’Arabie Saoudite jouent un rôle moteur dans la transition.

Le dividende numérique: quels sont les avantages?

Il y a de nombreux avantages à passer de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique, le premier étant la réduction de la consommation d’électricité et d’énergie et l’amélioration de la qualité de service, en proposant aux consommateurs une meilleure qualité des émissions, par exemple avec la TVHD, grâce au traitement et à la compression numériques des signaux.

Cependant, le plus grand avantage, tant pour les fournisseurs de services que pour les consommateurs, est la quantité de spectre libérée une fois le passage au numérique effectué: la région des Etats arabes disposera en effet de plus de 200 MHz de spectre grâce aux

bandes 694/698-790 MHz et 790-862 MHz. Je pense que les fréquences ainsi libérées serviront essentiellement à deux choses: la diffusion de programmes locaux supplémentaires et les services mobiles comme les Télécommunications mobiles internationales (IMT).

Dans la région des Etats arabes, pour l’immense majorité d’entre eux, les téléspectateurs regardent les programmes en direct sur leur téléviseur. Les visionnages en ligne et les services à la demande représentent actuellement moins de 3% de l’audience, et ce principalement en raison de la capacité Internet limitée et de son manque de disponibilité.

La région des Etats arabes est une mosaïque de cultures différentes et possède un riche patrimoine historique. Etant donné que les fréquences libérées permettront de diffuser de nouveaux programmes locaux, j’espère que ces programmes encourageront une culture de la tolérance et aideront à préserver ces différentes communautés.

Les fréquences libérées par le passage au numérique devraient être attribuées pour les services mobiles, comme les IMT, ce qui facilitera la poursuite du déploiement des services large bande mobiles dans la région, pour offrir une meilleure couverture dans les zones très peuplées et les zones rurales. Puisque l’Internet joue un rôle important dans la fourniture de toute une palette de services aux clients, favorisant par exemple l’éducation et l’alphabétisation, je pense à titre personnel que l’amélioration de la disponibilité du large bande mobile aura des effets positifs pour la région.

L’avenir des fréquences utilisées pour la radiodiffusion

De nombreux éléments doivent entrer en ligne de compte lorsque l’on fait des prévisions à long terme concernant l’utilisation et la disponibilité des fréquences pour la radiodiffusion télévisuelle, même si j’espère que les fréquences attribuées à la radiodiffusion seront conservées, car elles constituent le support le moins coûteux pour accéder à l’information.

Je pense que toutes les parties prenantes doivent utiliser cette ressource limitée de manière efficace, afin de faire en sorte que nous puissions répondre aux besoins existants et futurs. La technologie évolue actuellement à un rythme incroyable, avec la mise au point incessante, année après année, de techniques hautement innovantes et de nouveaux services. Si les services de radiodiffusion utilisent le spectre de manière efficace et efficiente, il sera possible de prendre en charge à la fois les services existants et des services supplémentaires. De même, dans la mesure où de nouveaux services vont de pair avec de nouvelles techniques, celles-ci doivent utiliser cette précieuse ressource de manière efficace, afin de ne pas consommer de ressources supplémentaires.

Compte tenu de tous ces éléments, je ne peux pas prédire ce que l’avenir nous réserve en ce qui concerne l’attribution future des fréquences pour la radiodiffusion télévisuelle, mais il faudra continuer à mener des partenariats constants au niveau régional comme international et à assurer une coordination avec les instances dirigeantes comme l’UIT, afin de garantir l’attribution efficace et appropriée de cette ressource limitée et essentielle.