Selon les prévisions, en 2030, 366 millions d’êtres humains vivront avec le diabète. Baye Oumar Gueye explique comment les techniques de santé sur mobile ont révolutionné l’accès aux soins de santé pour les diabétiques au Sénégal, et ce que cela implique pour le traitement des maladies non transmissibles dans le monde.
J’ai vécu ce que beaucoup considéreraient comme une vie bien remplie: j’ai eu une excellente formation, j’ai voyagé dans le monde entier, et j’ai eu une vie professionnelle passionnante et gratifiante. Mais, à l’âge de sept ans, j’ai été diagnostiqué diabétique.
Si elle est correctement gérée, la maladie n’a pas vraiment de conséquences sur ma vie quotidienne. J’ai obtenu deux diplômes universitaires, un “Bachelor” en philosophie, suivi d’un “Master” en gestion des ressources humaines à la BEM (Bordeaux Ecole de Management). J’ai ensuite progressé dans la hiérarchie à SudFM, station de radio privée numéro un au Sénégal, où j’ai occupé successivement les fonctions de reporter, de chef de service, de reporter principal, de rédacteur en chef et, depuis septembre 2014, de Directeur général.
Même s’il est vrai que le diabète modifie en profondeur le mode de vie – compte tenu de la nécessité de veiller à normaliser son taux d’insuline tout au long de la journée, de faire très attention à son régime alimentaire et de faire de l’exercice – s’il est géré correctement et efficacement, on peut vivre une vie bien remplie et en bonne santé. Or, pour cela, encore faut-il recevoir des informations adaptées pour appliquer de bonnes pratiques, ce qui ne va pas forcément de soi dans des zones où les services médicaux sont difficilement accessibles ou des zones mal desservies. Les TIC sont alors le moyen le plus efficace pour parvenir à diffuser les informations; à l’heure actuelle, on compte dans le monde presque 7 milliards d’abonnements au mobile, 3 milliards d’internautes et la radio est un média quasiment universel. L’utilisation de ces services et de leurs avantages offre des solutions directes, bon marché, intéressantes et innovantes pour donner accès aux soins de santé à tous ceux qui souffrent de cette maladie chronique.
Cette utilisation novatrice de la technologie me fait penser à une phrase de mon philosophe préféré, Karl Marx, selon qui “jusqu’à aujourd’hui, les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, il s’agit maintenant de le transformer”. Les TIC ont le potentiel d’améliorer spectaculairement la qualité de vie des personnes vivant avec le diabète ou d’autres maladies non transmissibles, telles que les maladies cardiovasculaires, le cancer ou les maladies rénales. Les maladies de ce type ont causé 38 millions de morts en 2012. Selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 80% des cas de maladie cardiaque prématurée, d’accident vasculaire cérébral et de diabète pourraient être évités; nous devons tout faire pour déployer les technologies mobiles, afin de limiter les facteurs de risque courants sur lesquels nous pouvons agir, comme le tabagisme, la mauvaise alimentation, ou encore l’augmentation de la tension artérielle et de la glycémie.
Appui au système de soins de santé du Sénégal
En raison de l’évolution des modes de vie et des régimes alimentaires, dans la plupart des pays d’Afrique, les cas de diabète diagnostiqués sont en augmentation – et le Sénégal ne fait pas exception. Plus de 4% de la population adulte dans le pays vit avec cette maladie, mais le pourcentage peut atteindre jusqu’à 10% dans certaines régions. Toutefois, il ne s’agit là que d’estimations: de nombreux cas restent non diagnostiqués, surtout dans les zones rurales et isolées. Des enquêtes sont menées à bien à l’échelle du pays pour tenter d’établir avec précision le nombre de personnes diabétiques.
Je suis fier d’être Secrétaire général de l’Association sénégalaise de soutien aux diabétiques (ASSAD). Depuis près de 50 ans, nous apportons notre appui aux personnes qui vivent avec le diabète pour les aider à gérer en toute indépendance leur état de santé et à mener une vie active. Grâce au travail de nos commissions scientifique, médicale et sociale, nous faisons connaître le diabète et son traitement, tant aux personnes diabétiques qu’au grand public.
En 2014, nous nous sommes associés à l’UIT et à l’OMS pour lancer au Sénégal le programme m‑diabète, dans le cadre de la campagne “Be He@lthy, Be Mobile”. Le Sénégal est un candidat idéal pour l’organisation de ce programme innovant, puisque 83% de la population a un téléphone mobile, dont 40% sont des smartphones pouvant recevoir des images et des vidéos.
Cette initiative était divisée en quatre étapes: m-sensibilisation; m-formation; m-éducation; et suivi des patients.
Le programme cible simultanément quatre groupes concernés: le grand public; les professionnels du secteur de la santé qui ne sont pas nécessairement formés au traitement des maladies chroniques; les diabétiques; enfin, les diabétiques à haut risque de complications. En ciblant ces quatre groupes simultanément, on espère mieux sensibiliser à la maladie, faire connaître ses symptômes et ses risques et les moyens de prévenir de nouvelles complications. Seule la technologie mobile nous permet d’agir à une aussi grande échelle, de fixer des objectifs globaux et de mobiliser d’un seul élan toutes les principales parties prenantes.
Essai pilote m-Ramadan
Dans sa grande majorité (à 94%), la population du Sénégal est musulmane. Le Ramadan est, dans la religion musulmane, une fête au cours de laquelle les croyants doivent jeûner pendant un mois, autrement dit s’abstenir de consommer aliments et boissons du lever au coucher du soleil. Il s’agit donc d’une période à risque pour les diabétiques: les périodes de jeûne tout au long de la journée sont suivies habituellement d’une forte consommation de sucre lorsque le jeûne est rompu dans la soirée. En raison de ce régime en dents de scie, les autorités sanitaires constatent un pic d’hospitalisations d’urgence de personnes dont le diabète n’est pas contrôlé.
L’application m-Ramadan, première application du programme m-diabète, a été lancée en 2014 pour mieux sensibiliser aux risques liés à cette fête religieuse et aux moyens de jeûner sans danger. Les diabétiques ou les professionnels de la santé intéressés par des recommandations sur le diabète et le jeûne pouvaient demander à recevoir gratuitement des SMS avant, pendant et après le Ramadan.
Quatre semaines avant le Ramadan, nous avons envoyé chaque jour aux utilisateurs un message pour les aider à se préparer à ce mois de jeûne. Pendant le Ramadan, nous ne leur avons plus envoyé que deux messages par semaine. Les messages types étaient par exemple: “Buvez un litre d’eau chaque matin avant d’entamer le jeûne”, “Attention aux excès alimentaires et aux aliments très sucrés comme les dattes”, ou encore “Faites réadapter vos doses et horaires de prise de traitement par votre médecin avant de jeûner”. Au total, 80 000 SMS gratuits ont été envoyés à plus de 2 000 utilisateurs dans le pays.
Cette campagne d’information a donné d’excellents résultats, et 99% des participants à l’essai pilote ont dit qu’ils souhaiteraient recevoir une nouvelle fois ce type de messages. Pour moi-même, en tant que Secrétaire général de l’ASSAD et en tant que diabétique, j’étais particulièrement fier de voir que les retombées de cette campagne allaient au-delà de nos espérances; les personnes ne se sont pas contentées de recevoir les messages envoyés, elles les ont sauvegardés et communiqués à leur famille, à leurs amis et à d’autres patients. Grâce au téléphone mobile, les messages ont été traités comme des contenus dynamiques aisément diffusés au-delà du public-cible d’abonnés.
Rôle de l’UIT
L’UIT a pris une part active à ce projet auquel elle a apporté d’un bout à l’autre ses compétences en matière technique, logistique et d’organisation. Ce programme, d’envergure nationale, devait toucher différents utilisateurs. L’UIT, ayant déjà l’expérience des partenariats public-privé, a aidé à coordonner la participation de différents opérateurs de télécommunication. Avec l’assistance de ces derniers, nous avons pu tenir nos délais et aider les personnes diabétiques à fêter le Ramadan en sécurité.
Futurs déploiements des services mobiles
Cette année, nous espérons atteindre, avec notre programme m-Ramadan, entre 10 000 et 15 000 utilisateurs. Toutefois, au vu des avantages que ce programme offre aux personnes diabétiques, il serait souhaitable que cette initiative s’étende hors des frontières du Sénégal, à l’ensemble de la région, du continent, voire du monde.
Ce projet est parfaitement modulable, ce qui est le grand avantage de la technologie mobile, et pourrait tout à fait être appliqué à d’autres maladies non transmissibles; pour cela, il nous faut utiliser tous les canaux de communication possibles pour atteindre le plus grand nombre. D’autres supports médiatiques joueront un rôle croissant pour diffuser les messages relatifs à la santé, qu’il s’agisse des réseaux sociaux ou de la radio, de la presse écrite ou de la télévision. En outre, on ne saurait sous-estimer la puissance de canaux d’expression culturelle comme la musique, les arts ou le cinéma. Nous devons utiliser tous les supports médiatiques pour nous assurer que les facteurs de risque sont dument pris en compte, le but étant de sauver des vies.
L’initiative conjointe UIT/OMS m-santé, dans le cadre de la campagne “Be He@lthy, Be Mobile”, encourage activement les personnes à vivre et jouer leur rôle au sein de la société, en les aidant à gérer leur maladie. Alors que selon les estimations, les cas de diabète diagnostiqués devraient augmenter en flèche d’ici à 2030, nous devons mettre des initiatives innovantes de ce type à la portée de tous, pour contribuer à alléger la charge de travail des services de soins de santé et accompagner les personnes souffrant de cette maladie chronique.