Innover avec Bill: comment assurer la sécurité de tous en mer?

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La sécurité de la navigation maritime ne concerne pas seulement les personnes à bord; les transports maritimes jouent un rôle clé dans l’économie d’aujourd’hui, à l’heure où 90% du commerce mondial se fait par voie maritime. Après avoir sillonné pendant 20 ans les mers du globe, le Capitaine (“Master Mariner”) Bill Kavanagh s’occupe désormais de former les générations suivantes d’officiers au National Maritime College en Irlande.

Si vous demandez à un marin pourquoi il a choisi la mer, vous avez toutes les chances d’obtenir la réponse suivante: pour voir le monde. A l’âge de 18 ans, j’ai fait le tour du monde en six mois lors de mon deuxième embarquement en tant qu’élève officier. Ce voyage m’a fait découvrir l’Espagne, l’Afrique du Sud, l’Inde, le Japon, et d’autres pays encore. Depuis ces premiers voyages en mer, j’ai commandé un navire de 100 mètres de long et de 3 500 tonnes en Europe, ainsi qu’un autre navire de 174 mètres de long et de 27 000 tonnes dans le golfe Persique.

Ces navires ont beau sembler énormes, 94 navires de ce type ont disparu en 2013. A tout moment, on peut se trouver à des milles de la côte, sans assistance possible pendant des heures, voire des jours. Toutefois, la sécurité de la navigation maritime ne concerne pas seulement les personnes à bord. Plus de 90% du commerce mondial se fait par voie maritime et l’efficacité du transport de marchandises a des conséquences aussi bien pour les consommateurs que pour l’économie mondiale. Un paquebot type pouvant consommer plus de 200 tonnes de carburant par jour, l’efficacité énergétique est un élément clé de la compétitivité. Une collision peut créer une brèche dans la coque du réservoir de carburant et causer d’énormes dégâts à l’écosystème marin. C’est pourquoi la sécurité de la navigation est fondamentale.

Après 20 années passées à bord, après avoir parcouru toutes sortes de voies maritimes sur différents navires et avec différents équipages, je sais que chacun à bord, dans ses fonctions, joue un rôle essentiel pour garantir la sécurité de la traversée d’un port à l’autre.

Progression dans la carrière

Mon passage au grade de capitaine a marqué l’aboutissement de dix années d’expérience en mer, associées à l’acquisition de qualifications professionnelles obtenues au Cork Regional Technical College (aujourd’hui Cork Institute of Technology (CIT)) en Irlande.

Mon premier poste sur le navire a été celui d’élève officier, et pour un garçon de 17 ans, c’était une expérience passionnante: j’ai beaucoup appris sur la vie à bord, ai fait l’expérience pratique de diverses tâches sur le pont, et ai appris à diriger un navire au cours de longues traversées dans les eaux internationales.

Tout au long de ma carrière en mer, j’ai pu enrichir et développer mes compétences techniques. A l’âge de 20 ans, je suis passé lieutenant (“Third Officer”), chargé de l’entretien des équipements anti-incendie et de sécurité, de l’embarquement et du débarquement de la cargaison et d’assurer le quart à la passerelle. Deux ans plus tard, j’ai été promu officier en second (“Second Officer”), chargé de planifier les itinéraires dans les océans Atlantique et Pacifique, de calculer les positions et les informations nécessaires au voyage, par exemple d’estimer les heures d’arrivée. A 27 ans, j’étais second capitaine (“Chief Officer”), responsable du bon fonctionnement du navire au quotidien, y compris de la maintenance et des marchandises embarquées – travail qui comportait beaucoup de paperasserie!

Je suis devenu capitaine à 29 ans. Le capitaine dirige une équipe, veille au bien-être de son équipage et au bon acheminement du fret. En tant que commandant du navire, j’étais responsable de tous les aspects de la vie à bord: navigation, maintenance technique, acheminement du fret, et communications entre les fournisseurs, les ports et les autres navires.

Sillonner toutes les mers du monde

La navigation repose sur trois grands éléments: vous devez savoir où vous vous trouvez, où vous allez et d’où vous venez. Il est indispensable, pour assurer la sécurité de la navigation, de pouvoir calculer ces données avec une extrême précision. Comme le danger est assez faible en haute mer, les calculs doivent y être exacts à 0,2 mille nautique (400 mètres) près. Néanmoins, comme le risque est plus grand sur les itinéraires côtiers – en raison de la présence de récifs, d’effets de côte et de vent, d’eaux peu profondes et de l’augmentation du trafic – les calculs doivent être exacts à 20 mètres près.

Lorsque j’ai débuté, âgé d’à peine 20 ans, nous tracions matériellement notre itinéraire sur des cartes imprimées, en utilisant une série de cartes à jour qui donnaient des informations sur les nouvelles réglementations, les balises, ainsi que sur toute modification des communications et des aides à la navigation. On traçait et reliait les uns aux autres les points de cheminement, ou points de repère, pour former la trajectoire à suivre; ces segments d’un point à autre donnaient une image de la distance à parcourir, ce qui, en fonction de la vitesse moyenne du navire, permettait de donner une estimation de l’heure d’arrivée au port.

Aujourd’hui, les navires utilisent les systèmes informatisés de navigation intégrée. D’ici 2018, tous les navires commerciaux devront obligatoirement avoir à bord un système de visualisation de cartes électroniques et d’information (ECDIS) – technologie qui intègre des cartes électroniques de navigation utilisant des informations en provenance du Système mondial de localisation (GPS), du Système d’identification automatique (SIA) et des radars, qui donnent la position en temps réel par rapport à la terre, aux objets portés sur les cartes et aux dangers invisibles.

Le Système d’identification automatique (SIA) permet de suivre en temps réel la trajectoire des navires – y compris en ce qui concerne leur cap, leur vitesse et leur vitesse de giration. Ce système dépend du positionnement par satellite. Bien que ces équipements soient très fiables 95% du temps, des pannes sont toujours possibles; les équipements peuvent être délibérément endommagés, faire l’objet de brouillages ou être désactivés.

Le radar est l’une des aides à la navigation les plus innovantes de ces 60 dernières années et l’un des plus brillants exemples de réussite de la radionavigation. On l’utilise pour éviter les collisions et pour détecter la distance par rapport à une position ou un objet pour calculer une position. Le radar fonctionne sur deux fréquences différentes: la bande x et la bande s. Les fréquences de la bande s permettent de détecter des cibles, qu’il neige ou qu’il pleuve, mais tous les navires relevant de la Convention SOLAS – paquebots effectuant une navigation internationale ou navires n’embarquant pas de passagers ayant un tonnage brut d’au moins 500 tonnes et effectuant une navigation internationale – utilisent des radars fonctionnant dans la bande x. Les radars en bande x assurent une meilleure définition des cibles et leurs antennes sont plus petites. Une veille de 24 heures est assurée lorsque le navire est en mer afin de repérer des dangers non détectables par radar, par exemple, les gros blocs de glace ou les navires en fibre de verre, dont l’écho radar est faible. En outre, lorsque le trafic est très dense, par exemple dans la Manche, où à tout moment, entre 40 et 50 navires font la traversée entre Douvres et Calais, il importe de faire preuve de vigilance pour s’assurer que tous les dangers sont pris en compte. C’est pourquoi la vigilance visuelle du quart à la passerelle est d’une importance déterminante pour la navigation.

La sécurité en mer

Les marins professionnels passent des mois en mer, changent souvent de fuseaux horaires et affrontent des conditions météorologiques difficiles. Dans la mesure où les équipements de bord semblent souvent infaillibles, le risque est que les navigateurs fassent trop confiance aux systèmes de navigation électroniques, avec des conséquences qui peuvent s’avérer catastrophiques, l’erreur humaine pouvant être à l’origine de 80% des accidents de mer.

En matière d’opérations de recherche et de sauvetage, les équipements les plus simples sont souvent les plus efficaces. Les radiobalises de localisation des sinistres (RLS) jouent un rôle capital pour assurer la sécurité de l’équipage et ont permis de sauver des milliers de vies ces 30 dernières années. Dès que l’on appuie sur un bouton placé sur le côté de l’engin ou que celui-ci vient en contact avec l’eau, il émet un signal qui peut être repéré par les services de secours au moyen de satellites géosynchrones.

Une autre technique très utile est celle des transpondeurs de recherche et de sauvetage (SART) qui, une fois activés, émettent un signal qui s’affiche sur l’écran radar des navires pouvant les secourir; ce signal est représenté par une série de points qu’il faut suivre pour remonter au transpondeur émetteur.

Le Système d’accès et de consultation de la base de données du service mobile maritime (MARS) et les publications du service maritime sont d’autres outils très utiles pour les opérations de recherche et de sauvetage et pour la sécurité de la navigation. On peut ainsi identifier aisément les navires grâce à leur identité dans le service mobile maritime (MMSI), leur nom ou leur indicatif d’appel. On obtient ainsi des informations détaillées sur la station radio de chaque navire et d’autres données cruciales pour les opérations de recherche et de sauvetage (SAR), par exemple le nombre de personnes à bord et les coordonnées des personnes à contacter à terre en cas d’urgence. Ces publications électroniques (sur DVD) peuvent également servir aux stations côtières pour obtenir des informations sur les navires naviguant dans leurs eaux. Leur présence est obligatoire dans tous les Centres de coordination de sauvetage maritime (CCSM) du monde entier.

L’avenir de la navigation maritime

De même que les véhicules routiers ne cessent de gagner en autonomie, la tendance de demain est aux navires sans pilote. Selon les estimations, les premiers cargos sans équipage seront opérationnels en 2035.

Or, plusieurs problèmes restent à résoudre avant la généralisation des navires automatisés. Par exemple, que se passe-t-il en cas de collision survenue alors que le radar n’a pas détecté un petit yacht à coque en fibre de verre ou un bloc de glace, qui ne renvoient tous deux presque aucun écho? Comment cette technologie aidera-t-elle les navires à naviguer sans encombre dans des conditions météorologiques défavorables ou en fonction des marées? Par ailleurs, quelles en seront les incidences pour la protection de l’écosystème marin?

De plus, il n’existe pas encore de disposition juridique qui autorise la navigation sans équipage en haute mer; toutes les réglementations maritimes sont établies pour des navires avec équipage à bord. Donc, s’il est possible d’envisager des navires et bateaux sans équipage, ceux-ci devront être accompagnés par des navires avec équipage, à moins qu’ils n’aient un équipage à bord. A cette fin, les autorités responsables, comme l’Organisation maritime internationale (OMI) et les autorités maritimes nationales, devront modifier la réglementation pour s’assurer que les navires sont conformes aux exigences en matière de prévention des collisions, de lutte contre la pollution et de sécurité à bord.

Etant donné qu’il faudra du temps pour mettre au point les techniques et élaborer les réglementations requises, les navires ont toujours besoin d’un équipage à bord. Par conséquent, pour assurer l’avenir de la navigation maritime, tout au moins pour quelques décennies encore, il faudra continuer à former de jeunes marins professionnels.

Ce que j’apprécie le plus dans mon travail d’enseignant au National Maritime College d’Irlande est de voir les étudiants devenir officiers de bord. En quatre ans, ils acquièrent les compétences indispensables pour être en mesure de naviguer sur des cargos de 200 000 tonnes et de grands paquebots. L’un de mes anciens étudiants est d’ailleurs devenu capitaine du troisième plus grand yacht du monde.

Toutefois, leur tâche reste la même que celle de tous les marins qui les ont précédés: veiller à la sécurité du navire et de son chargement et protéger l’environnement marin.